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Les stratégies de développement des compétences à l’épreuve de la transformation digitale

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Stratégie digitale

Cet article a été publié à l’origine sur le site Trainingindustry.com

Les entreprises sont actuellement confrontées à des perturbations d’ampleur historique. Les technologies digitales se sont progressivement infiltrées dans les organisations et sont aujourd’hui présentes à tous les niveaux de fonctionnement, à la fois externes et internes. Et la transformation digitale ne fait que commencer : d’ici 2018, 50 % des tâches liées aux processus métier auront disparu, et les tâches digitales auront augmenté de 500 % [1].

Cependant, malgré l’omniprésence des technologies digitales dans les entreprises actuelles, les statistiques montrent que les collaborateurs n’y sont pas préparés. Près de 40 % des salariés européens n’ont pas suffisamment de compétences sur le plan digital et 14 % n’en ont aucune [2]. Aux États-Unis, on estime à 60 millions le nombre de personnes à qui des emplois sont refusés pour manque de compétences digitales : près de 20 % des Américains adultes n’utilisent pas Internet chez eux, au travail, à l’école ou encore sur leurs appareils mobiles [3]. Au Royaume-Uni, 6 millions de citoyens n’ont jamais utilisé Internet, et 9,5 millions ne disposent pas de compétences adaptées [4]. Les entreprises sont forcées de repenser la façon dont elles développent les compétences de leurs collaborateurs et leurs talents pour garder la tête hors de l’eau dans ce raz-de-marée du changement.

Le progrès génère un déficit de compétences

La transformation digitale peut être comparée à la Révolution industrielle. Les technologies digitales ont permis aux entreprises d’augmenter leurs performances et leur efficacité jusqu’à des niveaux encore inimaginables il y a quelques années. Des équipes se trouvant à des milliers de kilomètres les unes des autres peuvent désormais collaborer et innover en temps réel, tandis que des méga données sont analysées pour identifier quels talents risquent de quitter l’entreprise. Cependant, malgré ces opportunités, les entreprises elles-mêmes ont du mal à s’approprier ce changement et à déployer le plein potentiel offert par les technologies digitales.

Les répercussions les plus importantes de la transformation digitale sont peut-être celles qui concernent les individus qui composent les entreprises. Tout comme la Révolution industrielle, le bouleversement technologique a atteint des proportions sociétales, provoquant des angoisses, des peurs et une augmentation de l’incertitude (de l’insécurité) quant à l’avenir. En 1675, lorsque les métiers mécaniques ont commencé à remplacer le tissage à la main, une émeute a éclaté en Angleterre, et a duré trois jours, au cours desquels des groupes de tisserands ont détruit les machines qui avaient pris leur place. Mais comme ces machines offraient des avantages inestimables en termes de performance et d’efficacité, les ouvriers de l’époque n’ont pas eu d’autre choix que de s’adapter à ce changement, pour ne pas se retrouver sans emploi. L’histoire nous a montré que les progrès technologiques l’emportent toujours. Alors plutôt que de résister à la transformation digitale, les individus et les entreprises doivent se préparer immédiatement et de façon stratégique à acquérir des compétences qui changent et évoluent en permanence.

Apprendre pour la vie

Pour maîtriser ce changement, les individus comme les entreprises doivent appréhender l’apprentissage et le développement comme un cycle sans fin d’amélioration continue. Aujourd’hui, un diplôme universitaire ne suffit plus à assurer les compétences nécessaires pour bâtir toute une carrière, ce qui était encore possible il y a une dizaine d’années. Au 21e siècle, le travail est basé sur des compétences changeantes qui nécessitent un apprentissage et un développement constants, sans lesquels on tombe dans l’obsolescence programmée. Tout individu qui cesse d’apprendre met sa carrière en danger. Plus préoccupant encore, ce qui est vrai pour les individus l’est également pour les entreprises : celles qui ne sont pas prêtes ou disposées à apprendre ne survivront pas à l’ère de la transformation digitale.

Et histoire de compliquer encore les choses, la façon dont les personnes apprennent et développent leurs compétences a été grandement influencée par les technologies digitales. Pour apprendre aujourd’hui, il ne s’agit plus tant de consacrer une heure à une formation que de se former sur le tas, au fur et à mesure. Et cette tendance se renforce continuellement. Les modèles didactiques traditionnels sont devenus incompatibles avec les nouvelles habitudes de travail : les individus ne sont tout simplement plus capables de s’isoler et de se concentrer sur de longues périodes. On apprend aujourd’hui sur le quai du métro, dans l’avion, dans le taxi. Les apprenants contemporains recherchent des expériences d’apprentissage rapides, stimulantes et immédiatement utiles. De plus, les entreprises ne peuvent plus se contenter d’une approche descendante en matière de développement. Elles doivent au contraire chercher à rendre leurs collaborateurs plus autonomes pour leur permettre de se développer et d’aider les autres à se développer en leur fournissant les outils, la structure et l’autonomie nécessaires.

Culture digitale

Il est essentiel pour les collaborateurs et les organisations d’acquérir des compétences digitales solides. De nombreuses entreprises se sont lancées dans la course à la transformation digitale, et ont donc décidé de former leur personnel à l’utilisation de logiciels. Bien que la décision de développer de telles compétences techniques soit louable, il ne suffit pas d’apprendre à un collaborateur à appuyer sur le bon bouton pour créer un graphique à barres dans une feuille de calcul ou à signer électroniquement un document. Si une entreprise souhaite promouvoir la culture digitale auprès de ses salariés, les former à l’utilisation de différents logiciels ne résout qu’une partie du problème. Pour faire court, c’est un peu comme si ces entreprises donnaient à leurs employés une seule chaussure au lieu de deux.

Les compétences requises pour survivre à la transformation digitale nécessitent une approche plus holistique, afin de créer une valeur durable. La recherche universitaire définit généralement la culture digitale comme l’interdépendance de trois (ou plus) sous-ensembles de compétences interdisciplinaires fonctionnant en harmonie. Plus particulièrement, pour Warschauer et Matuchniak, ces ensembles de compétences sont 1. Les compétences en matière d’informations, de médias et de technologie 2. Les compétences en matière d’apprentissage et d’innovation 3. Les compétences relatives à la vie et à la carrière [6]. Cette catégorisation reprend celle de Jenkins et autres auteurs, et va plus loin en affirmant que la culture digitale comporte de multiples facettes et ne consiste pas simplement à maîtriser des compétences informatiques ou technologiques [7]. Eshet-Alkalai souligne notamment que « la culture digitale dépasse la simple capacité à utiliser un logiciel ou un appareil numérique ; elle inclut un grand nombre de compétences cognitives, motrices, sociologiques et émotionnelles complexes, dont les utilisateurs ont besoin pour agir efficacement dans les environnements numériques » [8].

Concevoir une stratégie

Lors de la conception d’une stratégie de développement d’entreprise visant à construire une culture digitale, il est possible de dégager cinq caractéristiques principales commençant par la lettre « C ».

Tout d’abord, un programme de développement doit cibler des compétences complémentaires. C’est-à-dire que les compétences techniques, fonctionnelles et comportementales fonctionnent ensemble. Les stratégies d’apprentissage doivent être axées sur la « façon dont les sujets sont interconnectés » [9]. Pour être un bon conducteur, il est nécessaire de savoir mettre le contact (compétence technique), mais aussi de pouvoir analyser la densité du trafic ou l’itinéraire le plus rapide (compétences fonctionnelles), et de savoir ralentir si la route est mouillée (compétence comportementale). Toutes ces compétences sont interdépendantes. Elles doivent donc être apprises et acquises simultanément. Comme lorsqu’on apprend à conduire, ces ensembles de compétences doivent être traités de façon concomitante, « toutes intégrées au contenu principal en tant que processus et résultat » [10].

De même, les ensembles de compétences qui composent la culture digitale dépendent du contexte spécifique dans lequel ils sont utilisés, et changent en fonction de celui-ci. Prenons l’exemple d’une visioconférence : les interactions entre les membres d’un petit groupe de 4 personnes qui se connaissent seront très différentes de celles impliquant 12 étrangers. Bien que les compétences techniques requises soient les mêmes dans les deux situations (c’est-à-dire la maîtrise du logiciel nécessaire à la visioconférence), les compétences fonctionnelles et comportementales requises seront certainement différentes. La façon dont une visioconférence est organisée et gérée dépend de plusieurs paramètres spécifiques (nombre de participants, type d’interaction, situation physique, etc.). Les ensembles de compétences ciblés doivent donc être contextualisés. La culture digitale est donc l’interaction et la maîtrise subtiles de tous ces groupes de compétences dans différents contextes, et non pas dans un seul. Comme pour conduire une voiture, il ne suffit pas de maîtriser les compétences techniques, fonctionnelles et comportementales dans un seul contexte pour être un conducteur expérimenté. Au contraire, c’est la capacité à maîtriser l’ensemble de toutes ces sous-compétences dans différents environnements qui définit un bon conducteur.

Ensuite, lors de la conception d’une stratégie de développement, il est essentiel de prendre en compte la nature changeante des attentes de l’apprenant, afin d’optimiser sa motivation, basée sur la collaboration. Brown souligne : « un changement, de l’utilisation de la technologie au service de l’individu, vers l’utilisation de la technologie au service des relations entre les individus. Avec ce changement, nous allons découvrir de nouveaux outils et protocoles sociaux qui nous aideront à nous aider les uns les autres, ce qui est l’essence même de l’apprentissage social » [11]. Taylor et Parsons suggèrent également que nous devons changer notre façon d’enseigner et le contenu de nos enseignements pour stimuler les apprenants : passer d’une pédagogie didactique à une pédagogie constructiviste. L’enseignement constructiviste exige la mise en place de relations fortes basées sur le respect, et des environnements d’apprentissage sécurisants, en particulier lorsque les relations enseignant/étudiant se modifient, délaissant le modèle expert-disciple pour se tourner vers un apprentissage collaboratif entre pairs [10].

Enfin, les outils numériques changent très rapidement. Ils évoluent et intègrent de nouvelles fonctionnalités régulièrement (pensez notamment au nombre de versions de Microsoft Office créées au cours des dix dernières années). Pour combler le déficit de compétences digitales, un programme de formation ne peut pas être basé sur un apprentissage unique. La formation à la culture digitale doit être constante, et évoluer continuellement.

Ce nouveau paradigme d’apprentissage et de développement, apparu au 21e siècle, est très différent des modèles précédents en ce qu’il ne concerne pas uniquement le contenu des apprentissages, mais aussi la façon d’apprendre. C’est en concevant des stratégies solides qui prennent en compte les besoins changeants en matière de contenu et de mode d’apprentissage que la véritable transformation digitale pourra avoir lieu.


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